« Menus plaisirs – Les Troisgros » de Frédérick Wiseman
États-Unis, France • 2023 • 240 minutes, entrée 5€
1ère partie : 17h00 à 19h00
Repas : 19h00 à 20h30 ( sur réservation : 10€ @ : 20000docssurlaterre@gmail.com)
2ème partie : 20h30 à 22h30
Fondée en 1930, la maison Troisgros détient trois étoiles Michelin depuis 55 ans. Enfants de la quatrième génération, les fils de Marie-Pierre et Michel poursuivent la voie de l’entreprise familiale ; César dirige le restaurant étoilé, Le Bois sans Feuilles, et Léo est à la tête de l’un des deux autres restaurants Troisgros : la Colline du Colombier. Du marché quotidien aux caves d’affinage du fromage, en passant par le vignoble, l’élevage bovin et le potager contigu au restaurant, Menus Plaisirs est un voyage intime et sensoriel dans les cuisines d’un des plus prestigieux restaurants du monde.
Cinéaste américain né en 1930 à Boston, Frederick Wiseman est diplômé en droit en 1954 à la Yale Law School. Wiseman affirme dès son premier film documentaire,Titicut Follies en 1967, ses principes de base : l’absence d’interviews, de commentaire off et de musiques additionnelles. Le montage, qu’il effectue lui-même, est une étape importante du processus de création de ses films et dure en général 12 mois. Son œuvre compose un portrait mosaïque de la société contemporaine, des États-Unis, de la France et de leurs institutions. Une véritable conscience du politique traverse cette œuvre essentielle que l’on peut sans aucun doute considérer comme « un seul et très long film qui durerait plus de 100 heures ». Frederick Wiseman a également dirigé deux films de fiction La Dernière Lettre en 2002 et Un couple en 2022 ; il a aussi travaillé pour le théâtre. À Paris, il a mis en scène La Belle d’Amherst, pièce de William Luce sur la vie d’Emily Dickinson et deux pièces à la Comédie Française : Oh les beaux jours de Samuel Beckett et La Dernière Lettre, d’après un chapitre du roman de Vassili Grossman, Vie et Destin. Son film Welfare a été adapté au thèâtre par Julie Deliquet, spectacle qui a fait l’ouverture du festival d’Avignon 2023.Frederick Wiseman a obtenu de nombreuses récompenses, parmi lesquelles figurent quatre Emmys, un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière au festival de Venise en 2014, ainsi qu’en 2016, un Oscar d’honneur de la part du Conseil des gouverneurs de l’Académie des arts et des sciences du cinéma américain. En 2021, il reçoit de la SRF le Carrosse d’or pour l’ensemble de sa carrière lors du festival de Cannes.Dès 1971 afin de se garantir une indépendance de création, il crée sa propre société de production et de distribution Zipporah Films
Les critiques de Cineuropa
LONDRES 2023
Critique : Menus-Plaisirs – Les Troisgros
par Roberto Oggiano
13/10/2023 – Avec le style minimaliste et direct qu’on lui connaît, Frederick Wiseman nous emmène en voyage à l’intérieur d’un des plus grands restaurants étoilés du monde.
Ces quarante dernières années, Frederick Wiseman a construit à travers son cinéma un édifice où se reflète la société moderne et les différentes institutions publiques et privées qui la composent, souvent aux États-Unis, parfois en Europe, comme c’est le cas en l’espèce. Souvent associé à Erving Goffman pour sa manière d’observer avec patience les comportements humains, même si sa rencontre avec le père de la sociologie moderne a été accidentelle et très brève, Wiseman a, toutes ces années, trimbalé sa caméra parmi les patients des hôpitaux, les visiteurs des musées, les élèves des écoles.
Dans son nouveau film, Menus-Plaisirs – Les Troisgros , comme toujours d’une durée significative, projeté au Festival BFI de Londres après être passé hors-compétition à Venise, le grand documentariste américain rend cette fois visite à La Maison Troisgros, un restaurant des environs de Roanne qui détient trois étoiles au Michelin depuis 1968. Avec la patience qu’on lui connaît, il en décrit les atmosphères, les personnages et les plats. La Maison Troisgros, fondée en 1930 et gérée depuis des générations par la famille Troisgros, est devenue une institution sous la direction de Jean et Pierre, qui font partie des inventeurs de la « nouvelle cuisine » avec leur plat signature, le saumon à l’oseille. Les personnages de Menus-Plaisirs sont le fils de Pierre, Michel, et ses deux fils César et Léo, des chefs liés à la tradition du plaisir esthétique (au-delà de celui des papilles) avec différentes influences orientales, en particulier la cuisine japonaise.
Dans Menus-Plaisirs, Wiseman conserve le style qui l’a toujours distingué, fuyant le didactisme de la voix off vérifier et laissant à la caméra le temps et la place de capter non seulement ce qui survient en cuisine et en salle, mais aussi la manière dont la nourriture arrive jusqu’à nous et dont elle est produite. Menus-Plaisirs alterne de fait entre de longs plans-séquences nourris des conversations entre les convives du restaurant et des plans d’une durée plus brève qui montrent, par exemple, des fleurs ou des plantes, composant des séquences qui sont presque du cinéma abstrait, parce que la réalité quotidienne prend selon Wiseman des formes inhabituelles, selon la distance à laquelle on l’observe. Dans le film, comme souvent dans le cinéma de Wiseman, il y a un certain désir de psychogéographie, une volonté d’arriver au cœur des choses en partant de leurs contours, en divagant. On visite la région pour parler avec des viticulteurs, des bergers, des apiculteurs, on écoute d’intéressantes explications sur la fabrication du fromage de chèvre et du vin. On part du marché pour arriver au dîner final comme on part de l’écriture pour arriver au film qu’on voit sur l’écran – une métaphore qui rapproche le restaurant et le cinéma, et qui est discutée pendant un « repas de bébé » où l’on ne peut qu’admirer l’ingéniosité de Wiseman pour évoquer les origines du cinéma et les légendaires frères Lumière qui ont contribué à l’inventer, non loin de l’endroit où se trouve la Maison Troisgros, d’ailleurs. Frederick Wiseman regarde les origines des choses pour satisfaire sa curiosité (indéniablement insatiable) et son regard inquisiteur se pose partout, loin des jugements, dans une grande ouverture au débat. Et si quelqu’un voulait objecter que quatre heures de durée, c’est trop, on pourrait leur conseiller de préférer à la Maison Troisgros un banal fast-food.
Menus-Plaisirs – Les Troisgros a été produit par 3 Star et Zipporah Films, les sociétés (respectivement américaine et française) de Wiseman. Les ventes internationales du film sont assurées par l’enseigne française The Party Film Sales.Si Frederick Wiseman a montré à maintes reprises son talent pour filmer les institutions politiques (Welfare, City Hall…), il prouve avec Menus-Plaisirs que sa méthode documentaire est imparable, quel que soit le domaine. Car en s’attaquant à la maison Troisgros, trois étoiles au Michelin et repris de générations en générations par la même famille, le documentariste filme la restauration de la même manière qu’un hôpital ou une mairie, c’est-à-dire de sorte à en révéler son fonctionnement concret par le montage de majestueux plans séquences. Mais la particularité de ce Menus-Plaisirs consiste justement à se faire plaisir en montrant le raffinement de ce restaurant, un sentiment peut-être inédit dans cette vaste filmographie où il s’est surtout illustré par ses regards critiques pointant des dysfonctionnements majeurs. Les aliments sont filmés avec une fluidité inouïe dans tout le parcours de leur cueillette à leur arrivée à la table aux clients, en passant par les caves et les cuisines. « Il dirige sans élever la voix, à l’oeil et au geste » explique Michel Troisgros, le père, en parlant de son fils qui a repris la carte après lui. Dans cet établissement aux grandes fenêtres en verre et sans hottes dans les cuisines, il nous est permis de tout voir, et surtout le management qui rend cette entreprise possible : les employés sont traités comme des membres de la famille, on s’assure que tout le monde se sente bien chez les Troisgros. En bref, on ressort du film comme d’un repas à l’une de leurs tables : forts repu, mais ô combien comblé.
Nicolas Moreno