«La Terre des Hommes Rouges» de Marco Bechis
Italie, Brésil • 2008 • 106’, Fiction, entrée 5€ (23h00 : Café Théodore : salle Café)
La région du Mato Grosso au Brésil, de nos jours. Après le suicide de l’un des siens, Nadio, chef d’une tribu Guarani-Kaiowa, décide de dresser un campement sur les terres des Blancs. Pour lui, comme pour le chaman, il s’agit de réparer une terrible injustice : récupérer les terres dont ils ont été spoliés autrefois… Malgré les menaces et les intimidations des propriétaires terriens, les Indiens décident de rester sur place pour reprendre leurs droits, coûte que coûte. Désormais, deux mondes se font face, sans jamais cesser de s’observer. Alors qu’une idylle se noue entre la fille d’un riche fermier et Osvaldo, le disciple du chaman, l’hostilité des Blancs monte d’un cran. L’affrontement semble inévitable…
Abus de ciné : Olivier Bachelard (voir)
Belle histoire de différences, « Birdwatchers », du nom de ce peuple qui connaît les oiseaux et en imite parfois les cris, est moins un film sur le choc culturel, qu’une œuvre sur les rapports fraternels ou d’exploitation qui se tissent avec les propriétaires terriens, leurs gardiens, ou leurs enfants. Curiosité réciproque, exploitation, mépris, entraide, toutes ces valeurs s’entrechoquent dans un récit qui fait la part belle à l’humain.
Ainsi le film s’ouvre sur une observation captivante des rites et croyances de ce peuple, sur fond d’impossible intégration à une société qui les tient par un parkage organisé et un soudouement par l’alcool. Le constat d’un abandon progressif, d’une perte d’espoir, passe par la découverte de 2 filles pendues. Meurtre ou suicide, aucune explication n’est donnée. Mais la caméra s’attarde longuement sur l’enterrement, face contre terre, l’incendie de la maison, la peur des ombres.
Puis le film bascule dans le rapport aux autres, devenant passionnant dans les fenêtres qu’il ouvre, sur l’hypocrisie d’un apartheid entré dans les mœurs, mais se fissurant malgré tout ponctuellement, et sur le devenir d’une nature en harmonie avec ce peuple, et vouée elle aussi à l’exploitation intensive par des hommes blancs avides de richesses. Cela fait de « La terre des hommes rouges », une œuvre sensible et dure, oscillant entre espoir de communion et réalisme pessimiste, à l’image du dernier plan du film, montrant un arbre isolé, seul au milieu d’un immense champ cultivé.
Avant de se tourner vers le cinéma,Marco Bechis fait des études d’économie à l’université Bocconi de Milan, puis est instituteur en Argentine, photographe à Paris et vidéaste à New York. En 1981, il intègre l’école de cinéma d’Albedo de Milan. En 1982, il est l’auteur, en collaboration avec Amnesty International, d’une installation vidéo intitulée Desaparecidos, dove sono? autour d’un camp de contentration. Cette oeuvre lui inspirera par la suite Garage Olimpo. En 1985, il écrit un scénario, Chip, tiré des nouvelles de J.L. Borges (1899-1986). Il en discute avec l’écrivain et s’attelle à la préparation du film, mais ce dernier décède l’année suivante et le projet est interrompu. En 1985, il est consultant vidéo sur Ginger et Fred de Federico Fellini. En 1991, il réalise son premier long métrage, Alambrado, sélectionné au festival de Locarno. De 1994 à 1996, il tourne en Inde un documentaire, Luca’s Film. Le film est également sélectionné au festival de Locarno. Il signe en 1999 son deuxième long métrage, Garage Olimpo : sélectionné au 52ème festival de Cannes, le film évoque un camp de concentration pendant la dictature militaire en Argentine. Figli-Hijos, son troisième film, est sélectionné à la Mostra de Venise en 2001. En 2004, le réalisateur crée KARTA FILM et commence la préparation de La Terre des hommes rouges. Les films de Marco Bechis ont remporté 14 prix internationaux.
Kugel Romane (Lycée St Exupery) (Voir)
La projection de presse a eu lieu le 9 décembre 2008 à 10h au Comoedia. Nous avons eu l’honneur de participer à la conférence de presse donnée le même jour à 18h45. Ainsi, nous nous retrouvons assis autour d’une table en compagnie de Marco Bechis et d’une autre journaliste. Le réalisateur-producteur pourra plus aisément répondre à toute sorte de questions.
Une toute première s’impose :
Comment se fait-il que le titre de base « Birdwatchers » ai été remplacé par un titre qui n’a aucun rapport et quelle est l’origine de cet ancien nom ?
Tout d’abord, parlons de l’origine du mot « Birdwatchers » : il signifie Observateurs d’Oiseaux. D’après Marco Bechis, les Hommes Blancs, comme les Indiens sont des Birdwatchers. Qui observe qui ? Telle est la question qu’il nous renvoie. Il le considère comme une métaphore de l’activité des Indiens, tant dans leur curiosité envers les occidentaux venus s’établir sur leur terrain, qu’envers la nature. Les Italiens ont refusé ce titre et le remplace donc par « La Terre Des Hommes Rouges », sous prétexte, que ce dernier serait plus accrocheur.
Une Seconde question :
Les acteurs sont de véritables Indiens venus de tribus, comment le contact est-il passé ?
Premièrement, Marco Bechis voulait trouver un terrain d’entente entre lui et les Indiens, se trouver d’égal à égal avec eux. Son engagement étant ce dernier, il a trouvé devant lui des Indiens analphabètes, incapables de lire un scénario ; et en désaccord total avec le cinéma, n’ayant jamais vu de caméra de leur vie. A son grand étonnement, Marco Bechis leur a trouvé une capacité naturelle au jeu d’acteur. En effet ces Indiens se transmettent tout par la culture orale, ils ont donc un don inné pour l’expression oratoire. Les scènes se sont jouées à « l’improvisation » toujours suivies d’un traducteur : le film est en Portugais, Marco Bechis est Italien… Six mois de préparation ont donc été nécessaires afin de réaliser ce film chronologique. Les Indiens ont scrupuleusement été choisis : parmi les mille établis près de la ville, seulement 30 à 40 ont été sélectionnés. Marco les a filmés dans leur vie quotidienne, jusque dans leur nid familial, puis a fait son choix. Chacun choisissait la scène qu’il désirait jouer, ainsi, les rôles ont été distribués.
Quelle est la raison de ce choix de thème plutôt ciblé ?
« Le problème des Indiens et de leurs terres, existe dans le monde entier, seulement personne ne s’en préoccupe ou en parle. » nous a confié Marco Bechis. Qui entre les Indiens et les Occidentaux sont les plus évolués ? Tout diffère alors selon le point de vue, qui d’après Marco Bechis est plus intéressant du côté des Indiens. Le film entier ou du moins sa signification, repose sur la curiosité humaine : les peuples ont peur de ceux qui se trouvent en face d’eux mêmes, laissant alors la peur s’installer ; faisant perdre toute curiosité et contacts possibles. Les Hommes ont besoin de se confronter au monde, de penser aux autres avant leur propre personne afin d’éviter la catastrophe. Les films français nécessitent des acteurs, de scénaristes et des réalisateurs français ; le fait d’être Italiens, pour des acteurs Brésiliens, ouvrait complètement la frontière des cultures.
La musique du 16° siècle ne concordait pas avec le thème du film, pourquoi ce choix ?
L’utilisation de la musique, dite classique, est employée dans le but de surprendre le téléspectateur. En effet, elle est utilisée aux moments forts, où on s’y attend le moins, et lorsque la scène est contraire à la musique.
Pour les déplacements de caméra, Marco Bechis appelle ces mouvements « camera à l’eau », en référence à la scène première, où l’effet recherché est de faire croire que l’on est dans le bateau avec les touristes. L’effet est repris lorsque l’on se retrouve dans la camionnette, pour un aspect encore plus réaliste du film. Les seuls scènes tournées à l’épaule sont lorsque le chaman sent l’esprit roder autour de lui, les autres sont en caméra fixe ou en travelling avant-arrière.
Kugel Romane
Lycée St Exupery