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De la plume à l’écran : « La Fleur de Buriti » de Renée Nader Messora et João Salaviza

De la Plume à l’Écran accompagne la sortie du film La Fleur de Buriti de Renée Nader Messora et João Salaviza, en salles le 1er mai 2024. Partenaires communication, nous vous recommandons chaudement ce film à la beauté visuelle et sonore hypnotique et à la narration défiant les cadres cinématographiques habituels. Une plongée fascinante dans les récits krahõ, à ne pas manquer !

L’avis de De la Plume à l’Écran, Dimanche 28 avril 2024, par Sophie

Oubliez les cadres et autres normes cinématographiques auxquels vous êtes d’ordinaire confrontés dès lors qu’un film s’intéresse à une thématique autochtone. Oubliez le genre du documentaire anthropologique et autres reportages audiovisuels à visée pédagogique. Oubliez les productions militantes au message politique en soutien « à la cause » autochtone. Oubliez aussi la sempiternelle question du degré de « fiction » et de « réalité » qui vous aiderait à classer et catégoriser ce film : ces concepts se révèlent vite ici inopérants. Et c’est tant mieux.

En allant voir La Fleur de Buriti, préparez-vous plutôt à vous immerger dans un tout nouvel univers filmique, à voir vos repères bousculés, à naviguer entre différentes temporalités et à être bercé·e par d’autres modes de récits et cadres narratifs… Tourné pendant quinze mois dans quatre villages différents du territoire krahõ, le film se base en effet aussi bien sur des récits historiques transmis oralement à travers les générations que sur la réalité de la communauté telle que le couple de cinéastes a pu l’observer depuis qu’il s’y est installé, il y a une dizaine d’années.

Après Le Chant de la forêt (2018) qu’à De la Plume à l’Écran nous avions également beaucoup aimé et qui avait à l’époque remporté le prix du jury Un certain regard à Cannes, le Portuguais João Salaviza et la Brésilienne Renée Nader Messora continuent leur expérimentation filmique et nous livrent ce qui s’apparente davantage à un poème en hommage à l’imaginaire fertile de l’univers krahõ. Car si le film raconte bien sûr les tensions qui existent entre la communauté krahõ et les villages voisins, il convoque pour cela, selon les cinéastes, tout un imaginaire « lié à la mémoire collective des communautés, à leurs rêves, leurs mythes ou encore leur rapport fascinant à l’invisible. »

La façon dont la narration entremêle différentes temporalités est particulièrement fascinante. En effet, La Fleur de Buriti se déroule sur trois époques distinctes (celle du massacre de Krahô en 1940 par des fermiers qui voulaient s’approprier leurs terres, celle de l’expérience traumatisante de la dictature militaire dans les années 1960 et la période contemporaine avec l’avènement d’une nouvelle génération de leaders autochtones) mais qui ne semblent plus faire qu’une, tant elles sont liées par leur cohérence de vie et de luttes. Le film explore ainsi la mémoire collective, dans ses résistances, ses partages au sein de la communauté, ses souvenirs transmis aux nouvelles générations.

En parlant de temporalité, il est un élément du film qui nous a particulièrement séduit·es à De la Plume à l’Écran car il entre directement en écho avec la raison d’être de l’association – à savoir la déconstruction, par le biais du cinéma, des stéréotypes véhiculés sur les peuples autochtones. Car jamais La Fleur de Buriti ne cède à la tentation de reposer sur une vision binaire avec des opposés qui de facto s’excluent : « traditions/modernité », « ville/forêt », « avant la colonisation/après », etc. Construit tout en complexité, le film fait plutôt évoluer ses personnages dans une certaine fluidité, faisant dialoguer les espaces entre eux (depuis le village jusqu’à la capitale Brasilia, au campement de Terre Libre) et s’entremêler le temps (racontant le passé dans le présent et permettant ainsi au rêve de convoquer l’avenir).

Ce brouillage de nos repères spacio-temporels rappelle que, loin de s’être donné pour but de retracer fidèlement l’histoire des Krahô ou le déroulé exact d’événements précis, les cinéastes révèlent plutôt la persistance – malgré les embûches et les épreuves – de la relation intime d’un peuple avec son environnement et de sa perception du monde.

« C’est une vision de la vie que nous voulons partager. […] Pour le peuple krahô, nos films sont des outils. Ils ont un pouvoir de séduction culturelle qui peut permettre de pacifier les Blancs, qui ne sont pas pacifiques ! » (Télérama)

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